Les visages de Susan Maers nous reviennent de loin. En eux se croisent les siècles et les styles, subtil mélange de madonnes et de masques, de visages de la Renaissance, de pâles beautés refondues, marquées par une forme de froideur consciente. Idéales, comme rêvées, ces figures féminines portent en elles une inquiétante profondeur. Susan Maers s'affirme comme intérieurement guidée par la beauté des modèles. Esthète, elle quête le regard, l'expression, la forme d'un visage qui fera naître une série. Une expression qui l'accroche, c'est-à-dire capable de générer l'émotion, fait matrice. Comme si d'un seul visage s'originait une suite, dans une déclinaison d'angles, de lumières, de variantes subtiles, jusqu'à épuisement de la figure.
Un regard, une pose, le vide d'un regard, l'indicible mélancolie d'un sourire font inspiration longtemps. "Je ne peux quitter ce visage. Ce qui me capte est sa fuite, son silence, cet espèce d'évanouissement au cœur de l'hyper-présence". C'est pour elle la marque même du féminin, d'une qualité sans nom, d'une indicible, mystérieuse altérité. Cette série de portraits est un hommage à ceci : la marque de l'ailleurs d'un visage, d'une intériorité toujours hors d'atteinte qui par la même fascine. La série, comme on tourne autour d'un noyau d'ombre, serait la tentative d'en relancer l'impossible saisie, comme si l'artiste, les yeux mi-clos, suivait inconsciemment la piste, guidée par l'ombre portée du mystère.
Enfant, elle perdit dans des conditions tragiques le regard de sa mère. Cette femme si belle, à l'occasion d'un accident de voiture, fut soudain défigurée. Le sang qui couvrait son visage fit disparaître ses yeux, la rendant momentanément absente, livrant la petite fille à la solitude de la scène. Cette perte du regard, plus que le sang, la fumée, le chaos de la voiture ricochant dans sa course folle, fut le véritable point traumatique. L'image du visage ensanglanté fut comme arrachée à jamais de sa mémoire, amnésie qui ne fut repérée et diagnostiquée comme telle que bien des années plus tard.
Ce n'est donc pas un hasard si l'entrée en peinture de Susan Maers se fit par le rouge, fil chromatique qui baigne les images et les imprègne. "Le rouge revient toujours, c'est presque un automatisme, un réflexe quasi-viscéral, il s'impose, plus fort que tout." dit-elle. Ce rouge qui hante, qui barre même certains visages, au bord de les noyer. "La beauté est un voile posé sur l'horreur" disait Jacques Lacan. Si tant est qu'on essaie de saisir la nécessité esthétique qui guide l'artiste Susan Maers, ceci semble se vérifier tout particulièrement.