Robin Goldring est né en 1963 à Paris, où il vit et travaille actuellement. Diplômé de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris en 1986, il a rapidement développé un style unique qui allie représentation classique et modernité subversive.
« […] À la différence de certains peintres contemporains, Robin Goldring ne semble pas devoir dissocier l’énergie de représentation qui donne lieu à la configuration d’un objet visible, ici celle du corps vu de dos et de devant ou de parties du corps, de l’énergie d’investissement, d’investigation aussi, qui pourrait venir s’accrocher à eux de façon disjointe et disjonctive. Dans ce cas, elle serait exprimée sans les rencontrer, en les parasitant, en venant les recouvrir. Un tel geste n’a pas lieu d’être ici, sans, pour autant que le peintre fasse retour vers l’idéal d’un corps essentiellement harmonieux, posé dans l’équilibre de ses formes. C’est pourquoi son travail quant au corps procède d’une vision convergente, d’une tentative de conjoindre l’intensité picturale et concrète du désir avec l’élucidation représentative et formelle de l’objet corps, qui n’est d’ailleurs pas qu’un objet, qu’une chose. Disons qu’il est posé très exactement à l’intersection de son apparence naturelle vivante et de sa nature d’objet figé, de figure déjà morte d’être devenue représentation. Posé entre-deux. »
Dans leur plus simple appareil nous apparaissent ces sujets, seuls ou dans d’improbables corps à corps. Académiques ? Non. Érotiques ? Non. Pourtant, ce sont des nus qu’on diraient à première vue empruntés au classicisme, pourtant certains emboîtements des corps pourraient sembler propice à suggérer un nouveau chapitre du Kama-Sutra. Non vous dis-je.
C’est qu’avec Goldring, il faut toujours se méfier. C’est une des qualités majeures de son inspiration de détourner à sa manière les apparences, et de faire avec elles ce que seulement et uniquement bon lui semble, de n’en faire, au fond, qu’à sa tête. Le peintre encore une fois désarçonne ici subtilement les codes. Les nus se réinventent, osant des poses bizarres, des aspérités de coudes et de genoux, des emmêlements complexes, parfois sans queues ni têtes, c’est un chahut discret, un ballet immobile d’où les membres enchâssés se cherchent se mélangent, s’intriquent au point de se rendre parfois, dirait-on, quasi prisonniers.
C’est là le point, car l’artiste nous présente, et de façon absolument virtuose, une subversion à tous les étages. L’image, on ne l’a pas bien vue, jamais. Il faut y revenir. On y revient, elle est faite pour ça, pour nous donner envie d’y retourner, avec à chaque fois le sentiment bizarre qu’elle cache autre chose. Chacun des nus de Goldring transporte avec lui sa charge de grâce et d’insolite. Et aussi une maladresse pour certains - les hommes, surtout - quasi comique, inadaptation poussée jusqu’à l’inquiétude d’un dos tronqué, sans tête, comme si le pinceau avait choisi de le laisser là sans le noir, tranquillement décapité. À tous les étages, donc, la subversion.
La pâleur et les ombres, les lumières sur les corps sont travaillés de telles façons qu’un instant on songe aux cadavres, laissés seuls sur une table juste avant la dissection. Les chairs virent au vert, au jaune, où se frottent et s’imbriquent dans un surprenant glacis de rose. Lumière qui leur fait une chair presque d’écorchés vifs, qu’on regarde pourtant sans répulsion, presque avec tendresse. Et puis ce nu couché de femme qui nous regarde, nous fixe de sa prunelle andalouse, fatale et pudique à la fois, comme un charme jeté à qui l’a vue nue. Elle flotte, impressionnante et calme sur son lit d’ombre, comme en apesanteur. L’effet ici est grandiose. C’est impossible, et pourtant à mesure que l’on s’approche, on la dirait soulevée, propulsée par le vent noir de la nuit, comme s’approchant de nous.
Rétrospectivement, les nus de Robin Goldring sont devenus, pour qui connaît son œuvre, essentiels. Ils nous apparaissent dans leur dépouillement de chairs ambiguës, illuminés de nuit. On ressent l’apaisement, autant que la douceur inquiète, mais ce qui l’emporte est cette sorte de majesté obtenue, celle de l’œuvre quand elle va au bout de son possible, et nous donne momentanément l’occasion de contempler, tout simplement, la grâce.
Je suis très reconnaissante à Robin Goldring de nous donner encore une fois la preuve de sa profonde et véritable inspiration.